RECETTE DE FAMILLE, de James Albon

Car cet album nous ménage des surprises en déclinant les registres, de l’ambiance feel good à la plus grande noirceur. Pour le rythme soutenu, le graphisme faussement naïf, la capacité à soulever des questions d’actualité – la cuisine éthique, les difficultés inhérentes à l’entrepreneuriat, l’impossible équilibre vie pro/vie perso, les risques du travail en famille, la recherche de la réussite à tout prix… Car on touche du doigt le risque réel à sacrifier ses idéaux et à perdre son âme sur l’autel de la reconnaissance coûte que coûte.  Car c’est une satire de nos sociétés qui survalorisent une certaine forme de réussite, jusqu’à la corruption. Car c’est un album inclassable et généreux.

BIO ET BON ? Parti sur un registre léger, hommage à la gastronomie éthique, au terroir et à la culture saine et bio de plein air, Recette de famille verse progressivement dans la farce noire jusqu’au drame social. Ce mélange des genres n’est pas le moindre des atouts de cette aventure familiale savoureuse qui tourne vinaigre. Très inventif et bien rythmé, le récit offre des réflexions d’actualité sur le retour à la production locale, à la terre, à la gastronomie comme art à même de nourrir les sens aussi bien que l’esprit. Une nourriture onirique qui rapprocherait les êtres. Sauf que non. Car viennent rapidement interférer certains penchants humains qui gâchent la fête…

LA FAIM JUSTIFIE LES MOYENS ? Tout semble rouler pour nos jeunes entrepreneurs qui ne ménagent pas leurs efforts. L’argent coule à flot, les réservations crèvent tous les plafonds… Et pourtant Tulip est de plus en plus nerveux, angoissé, irascible…Obsessionnel. C’est à partir de ce basculement que le ton change.  Impossible équilibre vie pro/vie perso, recherche effrénée de reconnaissance, de succès à tout prix, perte de repères tous azimuts… Une rupture de communication d’abord familiale et fraternelle, qui devient généralisée entre les différents personnages. Jusqu’à perdre toute notion de Bien et de Mal, de ce qui différencie l’acceptable de l’inacceptable. Recette de famille gagne progressivement en épaisseur, prenant la forme d’une satire sur la nature humaine et sa soif de pouvoir, de richesse, de reconnaissance. Au mépris de toute morale.

UN GRAPHISME PEU CONVENTIONNEL. Le graphisme est aussi intéressant que surprenant – voire déstabilisant à l’attaque des premières planches aux couleurs vives rehaussées par de l’aquarelle. Un dessin de caractère aux lignes irrégulière, qui se joue des formes tout en insistant sur les traits de crayon. Des illustrations chargées de couleurs acidulées qui décidément contrastent avec le ton tragique de l’album.