ASSURANCE SUR LA MORT, de Billy Wilder

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Le pitch

Séduit par la troublante Phyllis Dietrichson, l’agent d’assurance Walter Neff conspire avec elle le meurtre de son mari après lui avoir fait signer une police prévoyant une indemnité pharaonique en cas de mort accidentelle. Ça c’est le projet sur le papier… Le résultat est expliqué par le narrateur, Neff, dès le prologue, alors qu’il est mortellement blessé. Un film noir référent, réalisé par l’immense Billy Wilder. Co-écrit avec Raymond Chandler. D’après l’œuvre sulfureuse de James M. Cain, spécialiste des drames passionnels et ménages à trois qui tournent mal. Un chef d’œuvre.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car c’est « le plus grand film jamais tourné ». C’est pas moi qui le dit, c’est plein de gens très calés comme Woody Allen et Martin Scorsese (entre autres). Parce que tout est novateur dans ce film noir qui change la donne et fait véritablement repartir le genre sur de nouvelles bases. Car malgré la vénalité de ce couple sans scrupules, le scénario brillantissime arrive à nous faire éprouver de l’empathie pour ces amants diaboliques, liés par l’argent et le sexe. Car c’est un brillant exemple de narration, salué par le maître Hitchcock himself. Car ce troisième film de Wilder, celui qui le consacre définitivement et le fait entrer dans la cour des grands, est aujourd’hui reconnu à juste titre comme l’un des plus beaux films noirs de l’histoire du cinéma.

DU JAMAIS VU. Tout est inédit dans ce troisième film américain de Billy Wilder. Un film noir par excellence – avec mystère, atmosphère nocturne, fatalisme, ambiance tragique et mortifère… – alors que l’expression même de « film noir » * n’existe pas encore. Et que dire de cette narration inédite qui repose sur la voix-off et l’utilisation du flashback pour briser la linéarité du récit policier et du suspense. Une ouverture en forme de monologue où Fred MacMurray enregistre sa confession sur un dictaphone. « C’est moi qui l’ai tué. Moi, Walter Neff, courtier en assurances, 35 ans, célibataire, pas de cicatrices… jusqu’à récemment. Oui je l’ai tué. Pour de l’argent et pour une femme. Je n’ai pas eu l’argent… et je n’ai pas eu la femme. Bien joué, non ? ». D’où le film sera un long flash-back, montrant pour la première fois comment le suspense peut reposer sur l’origine du crime et son engrenage fatal plutôt que sur la recherche du coupable. Sur le comment et le pourquoi de l’assassinat plutôt que sur le qui. Le profil du coupable justement est une troisième innovation de taille : un mec lambda auquel le spectateur peut s’identifier. Démontrant ainsi que n’importe qui peut tuer, poussé par le désir charnel ou l’appât du gain. Sans oublier une ambiance unique, sordide à souhait, portée par un scénario et des dialogues écrits par un géant de la littérature policière qui effectuait son premier travail pour Hollywood : Raymond Chandler (Le Grand sommeilAdieu ma jolie ou La Dame du lac). Même si les relations entre Wilder et Chandler furent orageuses au point qu’ils finirent par se détester cordialement, Wilder déclarera à propos de du créateur de Philip Marlowe « C’était un ancien alcoolique. Nous avions des disputes parce qu’il ne connaissait pas le cinéma mais quand on en venait à l’atmosphère, à la caractérisation et aux dialogues, il était extraordinaire ». Le résultat est là. Assurance sur la mort est un sommet dans l’art de la narration cinématographique, doté de dialogues extraordinaires entre crudité et poésie macabre :« Suddenly it came over me that everything would go wrong. It sounds crazy, Keyes, but it’s true, so help me. I couldn’t hear my own footsteps. It was the walk of a dead man. »

MONSIEUR ET MADAME TOUT LE MONDE. Récit d’un crime par son assassin, Assurance sur la mort fait le portrait d’une nouvelle sorte de meurtrier qui va faire tomber les préjugés. Un tueur décrit sous les traits d’un Américain moyen, plutôt beau gosse (quoiqu’un peu terne). Une sorte de gendre idéal qui – horreur – cache en réalité un meurtrier sans scrupule, motivé uniquement par le sexe et l’argent. Et même si Neff tente de faire reposer la responsabilité principale du crime sur les épaules de sa maîtresse, on se rend vite compte qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un crime sous influence de la passion. Il est tout simplement mû par un rêve de vie facile sans travailler, à l’opposé du glamour hollywoodien de l’époque. Une histoire racontée avec un souci de réalisme proche du fait divers que l’on peut voir étalé à la une des journaux (le roman de James Cain est lui-même tiré de l’assassinat perpétré en 1927 à New York d’un homme par son épouse et l’amant de celle-ci). How shocking !

DES ACTEURS HORS DU COMMUN. Soucieux de préserver leur image, les deux acteurs principaux se feront un peu prier avant d’accepter de relever le défi audacieux que représentaient les personnages des deux amants criminels. Mais avec quel résultat ! Barbara Stanwyck, la future Martha Ivers, la Walkyrie des Quarante tueurs de Samuel Fuller, tient remarquablement le rôle Phyllis. Son interprétation fera date, modèle de nombreuses femmes fatales à venir. Totalement transformée avec sa perruque blonde, ses lunettes noires, son pull angora, ses pantoufles à frou-frou surmontées du fameux bracelet de cheville, elle est sidérante en garce ambitieuse, jalouse, sensuelle, mesquine, cupide, se servant de tous les artifices de la séduction triviale pour que son complice poursuive son plan meurtrier jusqu’au bout et sans faillir. MacMurray se fera davantage prier encore (George Raft et Alan Ladd ont pour info tous les deux décliné). Au final, les deux acteurs accepteront et Mac Murray d’avouer a posteriori « Je n’avais jamais pensé que ce serait le meilleur film de ma carrière ! ». A noter enfin la contribution d’Edward G. Robinson, parfait dans la peau de Keys, le personnage le plus humain du film. Celui qui, avec l’aide du « petit homme » qui est en lui (« My Little Man tells me »), résout toutes les fraudes aux assurances. Une sorte de figure paternelle, d’une grande intégrité, que Neff respecte par-dessus tout et qu’il trahira pourtant, certain de pouvoir rivaliser avec son flair.

*Il est d’usage de signaler la première apparition du terme « film noir » dans un article numéro 61 d’août 1946 de l’Écran français sous le titre « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle ». Nino Frank définissait ainsi quelques films américains, venant de sortir en France, qui lui semblaient montrer autrement la violence physique et les actes criminels.

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Billy Wilder est un réalisateur américain d’origine allemande absolument incontournable. Filmographie sélective.

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Boulevard du crépuscule (Sunset Blvd., 1950). Avec William Holden, Gloria Swanson, Erich Von Stroheim. La fin tragique de Norma Desmond, ex-star du cinéma muet.

Le Gouffre aux Chimères (Ace in the Hole, 1951). Avec Kirk Douglas, Jan Sterling, Porter Hall. Un journaliste sans scrupules, va exploiter un scoop au-delà de l’imagination. Une dénonciation de la presse à scandale, prête à tout pour vendre toujours plus.

Sabrina (1954). Une comédie de mœurs avec Audrey Hepburn et Humphrey Bogart.

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Témoin à charge (Witness for the prosecution, 1957). Avec Tyrone Power, Marlene Dietrich, Charles Laughton. Un film procédural qui réserve son lot de surprises.

Ariane (Love in the afternoon, 1957). Avec Gary Cooper, Audrey Hepburn, Maurice Chevalier. Une charmante comédie romantique.

Certains l’aiment chaud (Some like it hot, 1958). Culte. Avec Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon.

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D’autres adaptations de James M. Cain sont à voir et revoir sans modération. Le facteur sonne toujours deux fois (The postman always rings twice, 1934) a ainsi inspiré quatre films à la postérité extraordinaire. Une histoire de crime passionnel et de triangles amoureux qui traversent les âges.

Le dernier tournant (1939) de Pierre Chenal. Avec Michel Simon

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Le facteur sonne toujours deux fois (The postman always rings twice, 1947). Avec Lana Turner, John Garfield, Cecil Kellaway. Classique parmi les classiques.

Le facteur sonne toujours deux fois (The postman always rings twice, 1981) de Bob Rafelson (1981). Avec Jessica Lange et Jack Nicholson.