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D’après l’Affaire de Tulle*, dossier célèbre de folie anonymographique datant des années 20. À Saint Robin, « un petit village, ici ou ailleurs », en 1943. Une avalanche de lettres anonymes dénonce à la vindicte publique les notables d’un village. Très vite tout le monde se soupçonne et craint de devenir, à son tour, la prochaine victime du « corbeau ». Un film remarquable, brillant et sombre à la fois, d’une modernité tout à fait bluffante. Le Corbeau consacre la naissance d’un grand cinéaste français. Clairement dans mon top 10.
Parce que Le Corbeau est un immense film, noir et fiévreux, d’une puissance cinématographique inouïe. Pour la grande scène expressionniste (qu’admirait Hitchcock) où le balancement d’une ampoule illustre la notion relative, alternative, du bien et du mal. Car Clouzot y dresse un portrait acide et terrifiant de la France de Vichy. Car pour sa seconde mise en scène (après L’Assassin habite au 21) et le premier film où il bénéficie d’une totale liberté de création, Clouzot se révèle un véritable « auteur de cinéma », avec déjà un ton, une coloration, un style, qui constitueront sa marque de fabrique.
UN FILM HAUTEMENT POLÉMIQUE. Tourné en 1943 pour la Continental, société de production de films dirigée par l’occupant allemand, le deuxième film de Clouzot connut une sortie triomphale avant d’être honni de tous et retiré des écrans à la Libération. Cette grande foire à la délation ne pouvait que déplaire aux résistants. Comme en témoigne la belle diffusion du film en Allemagne (puis dans toute l’Europe occupée) sous le titre Une petite ville française, pour dénoncer les tares de notre belle nation. Très loin de célébrer le travail, la famille et la patrie, elle n’était pas non plus du goût de Vichy. Destin étrange que celui de ce film, finalement accusé des mêmes maux de part et d’autre : une vision dégradante et anti-française de la société de l’époque. Clouzot se verra interdire à vie toute activité cinématographique dès juin 44 (cette peine fut finalement réduite à deux ans). Ouf, depuis, Le Corbeau est rentré dans l’Histoire du cinéma.
L’AFFIRMATION D’UN STYLE CLOUZOT. Cadrages déstructurés, jeu sur la profondeur de champ, ombres démesurées, jeux de lumières magnifiques… Présence perverse de la petite Rolande, voile noir de Marie Corbin, l’infirmière à la grande cape… La mise en scène de Clouzot apporte une contribution esthétique majeure aux ambiguïtés des personnages, avec une totale modernité. Depuis dix ans, l’excellence du cinéma français relevait plutôt du « réalisme poétique » (Le Quai des brumes de Carné – 1938- pour n’en citer qu’un). Clouzot invente une autre approche artistique du réel. Un expressionisme naturaliste qui préfigure le « cinéma noir » des années 50. Et Clouzot de s’imposer comme un vrai cinéaste, avec un regard et un style que l’on retrouvera dans ses films suivants. Dans une mise en scène créative, envoûtante, qui exploite toutes les potentialités de l’intrigue, avec une griffe fantastique passionnante qui évoque avec force cette ambiance délétère de dénonciation généralisée.
UNE GALERIE DE PERSONNAGES PEU RELUISANTS. Peu sont sauvés dans ce chef-d’œuvre de méchanceté. Tout en nuances claires-obscures, les personnages du Corbeau sont l’objet de conflits intérieurs, pris de remords et de désirs inavouables. Mais aussi purs et courageux pour certains. Des personnages haut en couleurs, incarnés par des comédiens talentueux. Servis par des dialogues brillants (comme toujours chez Clouzot). Denise (Ginette Leclerc), l’infirme aux mœurs légères. Laura (Micheline Francey), l’assistante sociale aveuglément dévouée. Le docteur Germain (Pierre Fresnay, impérial), un homme fâché avec la vie. Vorzet (remarquable Pierre Larquey) qui explique trop bien la folie des autres, dans la fameuse scène de l’ampoule. « Vous croyez que le bien, c’est la lumière et que l’ombre, c’est le mal ». Donnant un mouvement de balancier à la lampe qui les éclaire, mouvement qui déplace la lumière et l’ombre qu’elle produit. « Mais où est l’ombre ? Où est la lumière ? Savez-vous si vous êtes du bon ou du mauvais côté ? ». Tous jouent remarquablement et contribuent à nourrir, et maintenir, un suspense de premier ordre, inhérent et nécessaire à toute histoire de corbeau.
UNE MODERNITÉ EXCEPTIONNELLE. Comment ne pas évoquer l’incroyable modernité de Clouzot qui soulève frontalement des questions aussi impensables que la drogue, l’avortement ou l’adultère ? Combien de films de l’époque se permettaient de dresser un portait aussi critique des instances dirigeantes de la France et aller à l’encontre des valeurs vichyssoises de triste mémoire (Travail, Famille, Patrie) ? Pour toutes ces raisons, 60 ans après, Le Corbeau garde toute sa force.
Titre original :
Le Corbeau
Réalisation :
Henri-Georges Clouzot
Scénario :
Louis Chavance, Henri-Georges Clouzot
Casting :
Pierre Fresnay, Ginette Leclerc, Héléna Manson, Pierre Larquey, Micheline Francey, Noël Roquevert
Bande Originale :
Tony Aubin
Nationalité :
Française
Langue de la VO :
Français
Année de sortie :
1943
Durée :
1h32
Couleur / noir et blanc :
Noir et blanc
Henri-Georges Clouzot (1907-1977) est un metteur en scène majeur de l’après-guerre dont certains chefs-d’œuvre demeurent incontournables.
L’Assassin habite au 21 (1942). D’après l’oeuvre de Stanislas-André Steeman. Avec Pierre Fresnay, Suzy Delair, Jean Tissier, Pierre Larquey, Noël Roquevert. Un clochard, qui vient de gagner une forte somme à la loterie, est la cinquième victime d’un mystérieux assassin qui signe ses crimes d’une carte de visite au nom de M. Durand. Le commissaire Wenceslas Vorobeïtchik — que tout le monde appelle Wens — se voit donner deux jours pour l’arrêter. Il sera aidé par son amime, Mila Malou. Truculent.
Le salaire de la peur (1952). Avec Yves Montand, Charles Vanel, Peter van Eyck. En Amérique Centrale, une compagnie pétrolière propose une grosse somme d’argent à qui acceptera de conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de pistes afin d’éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Quatre aventuriers sont choisis et entament un voyage long et très dangereux.
La Vérité (1960). Avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Paul Meurisse, Charles Vanel, Marie-José Nat. Dominique comparaît aux assises pour le meurtre de son amant, Gilbert, fiancé de sa sœur Annie. Elle doit se battre contre l’avocat, qui tente de ternir, contre son gré, la mémoire de Gilbert, et contre le procureur, qui essaie de la faire passer pour un monstre sans cœur aux yeux du jury. Une histoire inspirée par l’un des faits divers les plus médiatisés des années 1950 : l’affaire Pauline Dubuisson.
Panique (1946) de Julien Duvivier. Georges Simenon coscénariste. Avec Michel Simon, Viviane Romance, Lucas Gridoux. Monsieur Hire est un homme que les villageois jugent comme bizarre et presque inquiétant. Lorsqu’un crime est commis, le vrai coupable cherche donc à faire porter le chapeau à ce coupable idéal. Un grand classique
Monsieur Hire (1989). Film français de Patrice Leconte, remake de Panique de Julien Duvivier. Avec Michel Blanc, Sandrine Bonnaire, Luc Thuillier. M. Hire vit depuis des années dans le même appartement, ni pauvre ni riche. Il attend. Alice, qui loge dans un studio juste en face, se rend brusquement compte qu’il l’observe depuis des mois. Il sait tout d’elle et en tombe amoureux, alors qu’Alice est éprise d’Emile et prête a tout pour le protéger.
Radio Corbeau (1989). Film d’Yves Boisset. Avec Claude Brasseur, Pierre Arditi, Evelyne Bouix. Tous les jours, à la même heure, les ondes radiophoniques d’une petite ville jurassienne se retrouvent inondées de révélations douteuses sur plusieurs de ses habitants. Une enquête ne tarde pas à commencer.
Sept morts sur ordonnance (1975). Film de Jacques Rouffio. Avec Michel Piccoli, Gérard Depardieu, Jane Birkin. Dans une ville de province, a quinze ans de distance, deux chirurgiens vont connaître le même destin : ils seront tous les deux victimes du chantage et de la calomnie qui les pousseront au suicide.
Garde à vue (1981). Film de Claude Miller. Avec Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider. Soupçonné de l’assassinat de deux petites filles, un notaire est mis en garde à vue pendant la nuit du jour de l’an.