SUR LES QUAIS, d'Elia Kazan

Film
Bien
Très bien
Un Must
Classique controversé

Le pitch

Boxeur, Terry Malloy s’est couché dans un combat truqué. Devenu docker, il a assisté sans intervenir à l’assassinat d’un collègue sur le point de dénoncer leur syndicat mafieux. Pas terrible… Mais en croisant le chemin d’un prêtre et d’une jeune femme dont il va tomber amoureux, le héros perdu aura une chance de se racheter. Voilà qui est mieux.  Mais pour ce faire, il faudra qu’il se transforme en délateur. Gros cas de conscience. Et un sujet sensible pour Kazan, compromis pendant la Chasse aux Sorcières.  Très controversé à sa sortie, il nous reste à savourer aujourd’hui un film aussi intense qu’efficace, dense et dépouillé, couronné de 8 oscars.

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour la prestation impressionnante de Marlon Brando, incarnation de tous les combats, entre ouvriers et syndicats, entre le Bien et le Mal. Parce que ce grand classique dégage une atmosphère de violence et d’animalité bien différente des films de gangster alors en vogue. Car Sur les quais semble échapper à tout courant stylistique précis pour incarner une forme unique et singulière de réalisme lyrique. Pour la musique extraordinaire de Leonard Bernstein. Car Elia Kazan, figure controversée s’il en est, reste le metteur en scène génial des sentiments confus, des élans bridés, des fidélités impossibles. Parce que ce film remarquable, aux intentions éternellement obscures, qui a suscité beaucoup de malentendus, reste un film majeur, marquant d’un point de vue artistique.

UN CONTEXTE HISTORIQUE POLÉMIQUE. Sur les Quais est inspiré de faits réels révélés au grand public par le journaliste Malcolm Johnson dans une série d’articles, Crime on the Waterfront, parus dans The New York Sun en 1949. Le journaliste dénonçait l’existence d’un syndicat tombé aux mains d’un gang mafieux opprimant les dockers du port de New York. Sur les Quais avait par ailleurs une valeur très personnelle pour Elia Kazan qui, en 1952, avait livré les noms d’amis communistes à la commission des activités antiaméricaines, devenant un traître aux yeux du monde. Le film sorti dans ce contexte politique ultra tendu entre Guerre Froide, sentiment anticommuniste et Chasse aux Sorcières a suscité beaucoup de malentendus et de débats quant à la culpabilité qu’aurait tenté d’évacuer le cinéaste en abordant ce thème de la délation. De ce passif, Kazan deviendra le metteur en scène des sentiments confus, des élans bridés, des fidélités impossibles.

L’ITINÉRAIRE INTÉRIEUR D’UN HOMME, INCARNÉ PAR UN ACTEUR HORS DU COMMUN. Car Marlon Brand fait de Terry Malloy un personnage immense et intense. Sur le papier, un docker veule et égoïste. Un boxeur déchu qui se rebelle contre le syndicat mafieux qui décide des embauches, rançonne les dockers, élimine les récalcitrants. Au- delà du film de genre qu’il aurait pu être, Radio Cinéma Télévision Radio notait à l’époque, « ce qui distingue cette histoire de celle de tant de films de gangsters, c’est qu’elle est en réalité l’analyse d’une conscience qui s’éveille et que les aventures extérieures et policières sont ici les étapes d’une aventure intérieure ». Car Sur les Quais est avant tout un film d’atmosphère. Une histoire de passage à l’âge adulte, du parcours vers la lucidité de Terry Malloy, de sa découverte d’un univers jusqu’alors ignoré, celui de la justice, de la dignité et du respect. Grâce à Brando, cette figure christique prend toute sa puissance. Formé à l’Actors Studio (co-fondé par Kazan), dont la méthode privilégie une identification physique, affective et psychologique totale de l’acteur avec son personnage, il incarne Terry Malloy plus qu’il ne le joue. « Il sourd de lui une impression de puissance endormie, d’explosif inemployé, de « suspense » physique qui est plus importante que ce qu’il fait » constatait Combat, poursuivant : « Brando était le corps idéal pour incarner le lâche incompréhensible, le veule sincère, le menteur sentimental. Il y a entre ses yeux volontiers mi-clos, bouffis ou guetteurs comme ceux d’un chat, on ne sait quoi, quelque chose du fluide de l’hypnotiseur ». K azan fut lui-même ébloui par l’acteur, qu’il avait révélé dans Un tramway nommé désir (1951). À ses côtés, la débutante Eva Marie Saint est non moins sublime (avec un oscar pour le meilleur second rôle à la clé).

UN DÉCOR À NUL AUTRE PAREIL. Tourné en extérieurs, dans un univers de quais, de jetées, de ruelles lépreuses et d’eau moisie, d’hôtels meublés et de bars, le film dégage une poésie âpre et sauvage. Les quais apparaissent comme une zone de non droit. À l’opposé, les toits sont un lieu d’évasion et de rêverie. À force de contre-jours et de nuance, le chef-opérateur Boris Kaufman (oscar de la meilleure photo pour son travail sur le film) parvient à rendre palpable l’atmosphère désolée de cette partie du port de New York. « Il est bien l’homme de la fatalité et de l’inquiétude, celui qui fait sourdre la tragédie d’un décor qui sans lui ne serait que familièrement sordide » écrivait Combat.

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La fiche

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Filmo sélective d’Elia Kazan (1909-2003). Réalisateur, acteur, metteur-en-scène de théâtre, écrivain et  co-fondateur de l’Actors Studio. Il reçut en 1999 un oscar pour l’ensemble de sa carrière.

  • 1950 : Panique dans la rue (Panic in the Streets)
  • 1951 : Un tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire)
  • 1952 : Viva Zapata!
  • 1953: Man on a Tightrope
  • 1954 : Sur les quais (On the Waterfront)
  • 1955 : À l’est d’Eden (East of Eden)
  • 1956: Baby Doll (Baby Doll)
  • 1957 : Un homme dans la foule (A Face in the Crowd)
  • 1960 : Le Fleuve sauvage (Wild River)
  • 1961La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass)
  • 1963America, America
  • 1969L’Arrangement (The Arrangement)
  • 1972Les Visiteurs (The Visitors)
  • 1976Le Dernier Nabab (The Last Tycoon)