TRAÎNÉ SUR LE BITUME, de S. Craig Zahler

Car Craig Zahler est un réalisateur marginal et essentiel qui nous sort de la zone de confort où peut nous enfermer un certain cinéma hollywoodien. C’est pourquoi il est urgent de (re)sortir des cartons ce film directement exploité en vod et dvd (comme tous les autres films du génie susnommé). Pour Mel et Vince qui donnent dans ce film toute la mesure de leur immense talent. Car vous risquez de vivre une expérience unique. Pas forcément de tout repos ou agréable, mais sans équivalent, radicale.

UNE DESCENTE AUX ENFERS. Traîné sur le Bitume est un polar qui flirte avec les codes du film d’horreur. D’une telle noirceur que la lumière n’y trouve que peu de place. D’une violence brute et non édulcorée qui explique sans doute pourquoi le film a été directement exploité en dvd sans passer par la case sortie dans les salles obscures. Deux scènes notamment…  Pas très éloigné d’un Tarantino pour son sarcasme teinté d’humour noir et son usage de l’hémoglobine, Zahler y adjoint une peinture de l’intimité, un contexte social. Sans oublier de poser la question du racisme, car quoiqu’on en dise quoiqu’on en pense, l’argent, lui, n’a pas de couleurs. Traîné sur le Bitume est un grand film pour ce supplément d’âme, cet attachement aux raisons personnelles qui poussent au crime, sans faire appel à des simplifications caricaturales. Il faut aller chercher le cœur et l’âme tapis derrière ce déchaînement de violence.

UNE MISE EN SCENE SOMPTUEUSE. J’ai souvent pensé à Heat, le chef-d’œuvre de Michael Mann, au visionnage de ce film. Pas seulement pour la référence au film de braquage qui frise la perfection, à mi-chemin entre thriller et drame intimiste. Mais aussi pour son travail sur la couleur qui nimbe l’image de teintes ocres et vertes magnifiques. La mise en scène est par ailleurs très aboutie et certains plans, crépusculaires, sont de toute beauté.

UN DUO DE CHOC. Gibson et Vaughn offrent un couple de cinéma comme on les aime.  Zahler a été l’un des premiers à révéler la puissance dramatique de Vince Vaughn dans son film carcéral Section 99. Quartier de Haute Sécurité (2017).  Il lui redonne dans ce film un rôle qu’il habite d’une belle intensité. Celui d’un flic rital flegmatique, romantique, lié par une complicité touchante à son coéquipier de longue date. Mel Gibson quant à lui est royal. Un flic à l’ancienne au regard bleu acier, cramé et désabusé, désormais prêt à se sacrifier pour offrir un avenir à sa femme et sa fille. Un duo qui fonctionne à merveille car les deux hommes sont complémentaires dans leurs oppositions – le vieux roublard à deux doigts de la retraite et le jeune chien amoureux sur le point de se fiancer. Et complémentaires dans leurs points communs : ils font le choix de la famille ; ils sont anachroniques, perdus dans un monde dont ils ne comprennent plus les codes. Cette complicité savoureuse nourrit l’ambiance buddy movie, si populaire dans les années 90, et dont Mel « Martin Riggs » Gibson fut l’un des plus illustres représentants dans l’Arme Fatale. Une gorgée d’humour rafraîchissante dans ce film crépusculaire.