CORRUPTION, de Don Winslow

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Jusqu'à l'os

Le pitch

L’histoire est tout entière dans le titre. La dérive d’un grand flic new-yorkais qui bascule de l’autre côté de la loi. Don Winslow est un auteur majeur qui signe ici une nouvelle pépite. Très noire. Très réaliste. Et si le sujet peut apparaître maintes fois rebattu, Winslow y apporte son empathie. Sa force narrative. Une descente aux enfers menée à 100 à l’heure qui vaut clairement le détour.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car Don Winslow est un auteur américain incontournable, au même titre qu’un James Ellroy ou un Dennis Lehane. Une référence de la littérature au-delà du roman noir et de ses prises de positions politiques. Car il dénonce des systèmes – politiques, judiciaires, policiers, fédéraux – viciés, sans manichéisme, mais avec un très grand réalisme, en se nourrissant d’une recherche documentaire en béton armé. Du très lourd. Très complexe. Parce que même si sa trilogie mexicaine*, chronique flamboyante et ultra-violente sur la guerre contre la drogue, demeure inégalée, Corruption ne démérite pas et nous plonge dans l’atmosphère viciée de Manhattan, aux côtés d’un flic véreux qu’on n’arrive pas à détester complètement. Car c’est un roman qui secoue, ébranle, qui choque aussi, mais qu’on n’arrive pas à lâcher. Car on n’est pas près d’oublier Denny Malone et ses coéquipiers.

*Trilogie mexicaine : La Griffe du Chien (The Power of the dog, 2007) – Cartel (The Cartel, 2015) – La Frontière (The Border, 2021)

POUR DENNY MALONE, HÉROS SHAKESPEARIEN. Il y a du Macbeth dans ce héros dont on vante la loyauté et qui en vient à renier ses valeurs et trahir les siens. Car il est bel et bien corrompu, Denny. Et aussi manipulateur, charismatique. Et seul (alone de Malone…).  Un flic d’élite qui, en franchissant la ligne jaune une fois de trop, va faire basculer son destin du côté irrémédiable de la Force. Car il faut en faire pas mal pour dépasser les bornes dans ce système globalement corrompu jusqu’au trognon. En 18 ans de service, Denny a eu le temps de dévier progressivement, un pas après l’autre. Pourtant il n’est pas entièrement mauvais. Plutôt écartelé entre sa mission (lutter contre le crime) et les nombreuses tentations de déjouer les règles (pour arrondir ses fins de mois). En adoptant le point de vue interne, celui de Denny, dans un récit à la troisième personne, Winslow nous projette cœur du dilemme impossible qui l’étreint. Car si Malone a tabassé des suspects, tiré sans sommation, passé des enveloppes à droite à gauche, il est aussi celui qui sauve des vies, défend les laissés pour compte. Vient en aide aux victimes. Aussi nous apparait-il sympathique aux entournures, digne de compassion, alors même que la légitimité de ses actes devient intenable. Pas si simple de se tenir droit dans un engrenage qui vous happe, vous broie, vous digère, avant de vous recracher en mille morceaux. Et si le personnage de Denny n’est pas réel mais le fruit d’un long processus d’études, recherches et discussions de Winslow avec son réseau de flics, il est aussi une image déformée de l’auteur. Lui-même né et élevé à Staten Island. Ayant vécu et travaillé dans les mêmes rues que sillonne notre héros.

UN RÉALISME FLIPPANT… « Tout ce que je raconte dans Corruption s’est réellement produit, d’une façon ou d’une autre » affirme Winslow. Difficile à croire lorsqu’on lit certaines scènes qu’on pourrait qualifier d’improbables, trop gore, trop tout. Et pourtant. « Il y a 38 000 policiers à New York, poursuit l’écrivain. Certains ne reconnaîtront pas du tout leur expérience dans mon livre, mais d’autres oui. La plupart des flics sont honnêtes, mais tous les 20 ou 30 ans, à New York, il y a un scandale de corruption qui éclabousse la police. » Winslow se donne pour mission de rendre compte de situations complexes en s’inspirant de faits réels, à la manière d’un roman réaliste et social où chaque détail apporte sa pierre à l’édifice. Il offre des romans fouillés, documentés. Car derrière l’intrigue fictionnelle l’auteur révèle la réalité, toute la réalité. Et donner différents points de vue afin de nous permettre d’appréhender les situations dans toute leur complexité. Aussi l’un des grands atouts de ce roman qui n’en manque pas est de dévoiler, derrière l’histoire des flics, les réseaux complexes de corruption où trempent les gangsters, la mairie, le bureau du procureur, le FBI… Chacun trafiquant dans le but de faire tomber l’autre. Où le grand gagnant est le plus souvent le criminel qui a su nouer la meilleure alliance. Et le grand perdant le citoyen lambda, qui n’a ni les armes ni les règles du jeu en main.

…ET CINÉMATOGRAPHIQUE. Tant il est vrai qu’on a l’impression de baigner dans un Scorsese ou De Palma. D’ailleurs, le roman, écrit comme un scénario, est en cours d’adaptation.

UN HOMMAGE À LA POLICE DE TERRAIN NEW-YORKAISE. Corruption est dédié aux représentants de l’ordre assassinés en accomplissant leur mission, durant l’écriture du roman. Et Winslow de nous montrer que la frontière peut paraître ténue entre le Bien et le Mal pour ces hommes et ces femmes qui luttent contre le crime, pied à pied, dans la rue, au risque de leur vie. À l’assaut d’immeubles délabrés où des trafiquants les prennent pour cible. Coincés entre des injonctions politiques contradictoires, la pression des médias et des réseaux sociaux. Une situation intenable à bien des égards. Ainsi, en dépit de tout, alors qu’on plonge dans les cages d’escaliers à leurs côtés, on ne peut s’empêcher d’admirer aussi ces héros du quotidien.

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Si vous avez aimé, découvrez du même auteur

Don Winslow est auteur très prolifique (21 best-sellers internationaux) et sa trilogie de La Griffe du chienCartel et La Frontière est en cours d’adaptation série par la chaîne FX.

Un podcast intéressant (du 17 novembre 2018) : Emission Mauvais Genre sur France Culture. Interview de Don Winslow par François Angelier

La Cité en flammes (City on fire, 2022) annonce le lancement d’une nouvelle trilogie sis à Providence, dans l’État de Rhode Island, 1986. Une transposition des épopées antiques : la ville de Providence est Troie incendiée par les Grecs. Danny Ryan, 29 ans, est docker. Intelligent, loyal et réservé, il n’a jamais vraiment trouvé sa place au sein du clan des Irlandais qui règne sur une partie de la ville. Son rêve  : fuir loin de cet endroit où il n’a pas d’avenir. Mais lorsque Paulie Moretti, mafieux d’une famille italienne jusque-là amie, s’affiche avec sa nouvelle conquête, Hélène de Troie des temps modernes, Danny se retrouve mêlé à une guerre sans merci à laquelle il ne peut échapper.

Savages (2010), adapté au cinéma par Oliver Stone en 2012.

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Police Fédérale Los Angeles (To Live and Die in L. A., 1985). Film américain de William Friedkin. Avec William L. Petersen, Willem Dafoe, John Pankow. Richard Chance est un flic tête brûlée, obsédé par la traque du faussaire Rick Masters. Le jour où son coéquipier est abattu alors qu’il menait une opération en solo, Chance va peu à peu dévier de la légalité pour parvenir à ses fins et régler ses comptes. Un des meilleurs Friedkin. Un film intense, emblématique des années 80.

Narc (2003). Film américain de Joe Carnahan. Avec Jason Patric, Ray Liotta, Chi McBride. Int -12 ans. Deux flics (dont un au bout du rouleau) enquêtent sur la mort d’un coéquipier. Un polar complexe et troublant avec deux acteurs rares.

Training Day (2001). Film américain d’Antoine Fuqua. Avec Denzel Washington, Ethan Hawke, Tom Berenger. Int -12 ans. Jake Hoyt est une nouvelle recrue de la police de Los Angeles. Mis à l’essai auprès du sergent-chef Alonzo Harris, un vétéran de la lutte antidrogue qui opère dans les quartiers les plus chauds de la ville, Jake va vivre une longue et périlleuse tournée. Un film d’action qui déménage. Efficace à n’en pas douter ! Deyx acteurs à leur top.

L’Elite de Brooklyn (Brooklyn’s finest, 2010). Film américain d’Antoine Fuqua. Avec Richard Gere, Don Cheadle, Ethan Hawke. Int -12 ans. Le destin funeste de trois flics qui se croisent dans une nuit d’enfer à Brooklyn. Un film nihiliste où les acteurs arrivent à nous toucher.

Serpico (1974). Film américain de Sydney Lumet. Avec Al Pacino, John Randolph, Jack Kehoe. Le plus célèbre des flics infiltrés. Joué par l’intense Al Pacino (nommé aux oscars 1974).  Fraîchement sorti de l’académie de police, Frank Serpico commence son service à New York avec une forte idéologie et les valeurs qui lui sont propres. Mais il se rend vite compte qu’il entre dans une vaste machine à corruption. Ne se laissant aller au petit jeu des pots-de-vin, il est rapidement isolé au sein de sa brigade. Alors qu’il s’apprête à révéler ses découvertes au grand jour, aux yeux de ses collègues, Serpico n’est qu’un traître.

The Shied, série américaine de Shawn Ryan. 7 saisons (2002-2008). 88 épisodes de 42min. La série policière qui a changé les règles du genre en starisant un flic (et une brigade) ripou mais aussi attachant. Vic Makay (Michael Chiklis) et sa dreamteam. Pour rétablir l’ordre dans les secteurs les plus dangereux de Los Angeles, une brigade de police en arrive à mettre en oeuvre des méthodes plutôt expéditives et inhabituelles (euphémisme).