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(Dans un contexte de vigilance accrue face au terrorisme). C’est l’histoire d’un mec qui prend la fuite parce qu’il a peur d’être suspecté d’un possible attentat. Faut dire qu’avec sa tronche et sa dégaine, il a tout du coupable idéal, Hakim. Et c’est parti pour une odyssée parano dans Paris et sa banlieue. Dans une langue savoureuse qui fait rire, étonne. Et surtout interpelle par les questions (brûlantes) qu’elle soulève. Un long cri d’indignation, poussé sans reprendre son souffle, dans une langue vivante, fleurie, sans fioritures. Une très jolie surprise.
Pour l’engagement de l’auteur, à tous niveaux, politique, social, stylistique. Car ce roman se lit d’une traite, le souffle court, à un rythme soutenu, décousu, singulier. Pour les débats engagés, complexes, tous azimuts. Car dans tous les cas, d’accord ou pas avec Hakim, on est poussés à réfléchir, remettre en question ses/nos certitudes. Adopter un point de vue inédit. Car Diniz Galhos explore des thèmes douloureusement actuels : immigration, intégration, laïcité, injustice sociale… Avec une liberté de ton totalement réjouissante. Car il y a du Pouy chez Diniz Galhos qui nous livre un roman noir plein de bon sens et bourré d’anecdotes hilarantes sur les cités et l’art de la débrouille. Drôlissime, touchant, énervant.
UNE RÉJOUISSANTE LIBERTÉ DE TON ET DE STYLE. Le mieux, le plus parlant, c’est encore de vous en proposer quelques passages. Pour saisir pleinement le rythme de cette écriture « oralisée ». Une tchatche construite à partir de mots réorthographiés, repensés, tordus, maltraités, réinventés, répétés. Terriblement évocateurs. Ils surprennent, choquent, agacent parfois, interpellent souvent. Un parti pris de réalisme qui se joue des artifices de l’écriture, des pauses, des ellipses, des chapitres même. Rien de tout cela. Un style vraiment singulier. Qui fait rire, souvent. Et qui émeut aussi, sans misérabilisme. Une vraie belle expérience de lecture. Inclassable et précieuse.
« Ce sac. Putain ce sac.
… Ce train sera sans arrêt jusqu’à Gare du nord…
Nan mais ça va pas, tu vas tmettre à baliser parce que quelqu’un a oublié son sac à dos dans lreur. En plus le B, la seule ligne qui passe par les deux aéroports parisiens. C’est lgenre de trucs qui doit arriver tous les jours.
(…)
Ça tient pas, ça tient caaaarrément pas.
« Putain.
C’est pas… ? Nan sérieux…
Putain jfais quoi moi si c’en est une.
Je mretourne vite fait. On est DEUX dans lwagon. Assis à la place à quatre juste derrière moi, côté fenêtre dans lsens dla marche, un mec, plutôt fin. C’est compliqué avec les maigrichons, toujours du mal à cerner l’âge qu’ils ont.
(…)
Jfais quoi jfais quoi jfais quoi putain jfais quoi.»
UNE VIRÉE IMMERSIVE, MENÉE À 100 À L’HEURE. À la manière de Camilleri, Galhos développe un style très personnel à base de contractions orthographiques qui dynamise le rythme et nous rend le héros si proche, si familier. Ce parti pris narratif totalement original, déconstruit, jouant des majuscules, de la ponctuation, des insertions en tous genres, arrive à nous faire vivre l’urgence de la situation. On est dans la peau d’Hakim, à sa place, dans sa tête, accrochés à son long monologue qui accompagne sa fuite en avant psychotique à travers Paris et sa banlieue. On marche dans ses pas, au rythme effréné des méandres de sa pensée. Avec des accélérations, des digressions, des coups de gueule, des coups de mou. Une expérience immersive totale, visuelle, comme un long traveling de cinéma qui enchaînerait les péripéties à folle allure. Et au bout du bout, que la traque d’Hakim soit réelle ou fantasmée importe peu. Le sentiment même de persécution qu’il ressent dans ses tripes, s’avère une violence en soi, intenable. D’autant que sont respectées les unités de temps, de lieu et d’action qui mettent le lecteur sous tension permanente.
SE FUIR SOI-MÊME. La fuite de Hakim dans Paris se présente avant tout comme une fuite de lui-même. La fuite mentale d’un homme tiraillé entre deux cultures, deux croyances injustement placées dos à dos.
« Quand un jeune crache sur la France, en vrai il pleure sur les promesses qu’on lui a faites, auxquelles il a cru et qu’on a pas tenues (…) c’est pas la haine de la République, c’est le fossé qu’il y a entre les droits qu’elle promet à tous et ceux qu’elle n’accorde qu’à une poignée. »
Une traque folle, prétexte à passer en revue les maux qui touchent les « Français de première génération », enfants d’immigrés, du Maghreb ou d’ailleurs. Pour dénoncer l’accumulation de préjugés, stéréotypes, vexations quotidiennes et mesures arbitraires dont sont victimes Hakim et tant d’autres. L’un parmi des millions de musulmans français qui vivent leur foi en paix, loin d’une vision étriquée et caricaturale de l’islam. Comme un écho à l’actualité, Hakim, personnage entier, complexe et complexé, nous apporte son éclairage sur des notions aussi brûlantes que la religion, l’identité, l’intégration, la liberté d’expression… Une parole donnée par l’auteur avec beaucoup d’humanité à un personnage aux vies multiples, bourré de défauts et de qualités, oscillant entre sentiment d’injustice réel et paranoïa, et dont les avis et prises de position peuvent séduire ou révolter. Mais qui toutes ont l’immense avantage de nous interroger, donnant un bon coup de pied aux fesses de nos certitudes.
Auteur(s) :
Diniz Galhos
Titre original :
Hakim
Date de publication originale :
2020
Éditeur :
Asphalte Editions
Gōkan, au Diable Vauvert, 2012. (gōkan (livre relié) : type de livres illustrés d’ukiyo-e (estampes), extrêmement populaires au XIXème siècle, et qui s’inspirent pour la plupart des histoires de vendettas du théâtre kabuki). Une histoire basée sur des faits réels. Un voyage ébouriffant au pays du Soleil-Levant. Tokyo, 2010. Une garagiste, jeune, jolie, très désagréable. Son père, ancien Béret Vert, à peine plus aimable. Une valise diplomatique débordant de billets. Un assassin américain lancé dans un safari humain. Des yakuzas dépassés. Du béton, de l’électricité, des armes et du sang. De la musique, du cinéma. Et un professeur de la Sorbonne chargé de voler une bouteille de saké appartenant à Quentin Tarantino.