L’EAU ROUGE, de Jurica Pavičić

Livre
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Très bien
Un Must
Tragédie croate

Le pitch

Croatie, 1989. Dans un bourg de pêcheurs sur la côte dalmate, Silva, 17 ans, quitte la maison pour aller faire la fête. Elle ne reviendra pas. Une quête qui se prolonge sur plus de trente ans et qui dresse un portrait en creux de la Croatie contemporaine. Une découverte.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car les polars croates traduits en français sont une denrée rare et que celui-ci mérite vraiment le détour. Parce que l’auteur, journaliste né et résidant à Split, recourt brillamment au roman noir pour sonder, au travers de l’histoire d’une poignée d’anonymes, l’âme d’un pays tout entier. Parce que l’on découvre de quelle manière les traumatismes de l’Histoire peuvent forger les destins individuels. Pour tous les personnages mélancoliques, brisés, résilients, déterminés que Jurica Pavičić nous dresse sur la route d’une enquête qui dépasse largement le cadre policier. Un auteur à suivre.

D’UN MONDE À L’AUTRE. L’Eau rouge démarre le 23 septembre 1989, deux mois avant la chute du Mur de Berlin, au dernier automne du régime communiste de Tito, pour se déployer sur les trente années consécutives. Le récit criminel qui nous est conté s’insère dans une trame historique passionnante qui voit l’éclatement puis la disparition d’un pays, la République fédérative socialiste de Yougoslavie, sur fond d’écroulement du bloc communiste, de guerre civile (1991-1995), de montée des nationalismes et d’avènement du capitalisme. Pour le meilleur et pour le pire.  Car on y saisit les dérives d’un affairisme politique débridé qui spolie les plus faibles pour gaver les promoteurs immobiliers et autres chantres de la mondialisation. Un roman noir qui évoque en filigrane l’explosion de l’industrie touristique et des investissements étrangers, avec leurs dommages collatéraux, la spéculation foncière et la corruption à tous les niveaux de l’Etat. Un bien triste tableau.

UN HÉROS QUI DEVIENT PARIA. Gorki Šain, l’inspecteur en charge de l’enquête dès 1989, symbolise ces bouleversements politiques. Petit-fils d’un compagnon de route de Tito, il bénéficie de son prestige et mène une brillante carrière. À 26 ans, il a la vie devant lui et un futur radieux, armé de son badge de la police et de la carte du parti. Mais les revirements de l’histoire le rendent soudainement insignifiant, voire gênant. Humilié, rétrogradé, il préfère démissionner « Gorki s’était réveillé dans un nouveau monde dans lequel il était devenu un pestiféré. » Il se reconvertit dans l’immobilier de luxe. Un choix lucratif mais qui le rend mélancolique. Pas si simple de changer de destin.

UNE FAMILLE (UNE SOCIETE ?) BRISÉE. L’Eau Rouge décrit minutieusement, étape par étape, l’histoire d’une famille ordinaire qui voit la disparition inexpliquée de l’un des siens. Ce vide vertigineux de l’absence figera leur destin, mais aussi celui d’un village, d’une région, d’autres gens ordinaires pris dans le maillage de l’enquête et de l’Histoire en marche. Une enquête qui est entravée par les soubresauts de l’Histoire et les errements politiques et institutionnels qui secouent le pays en général et les instances policières en particulier. Une enquête malmenée par les circonstances et qui renvoie à un pays chaotique qui peine à sortir de son ornière. Un pays neuf et toujours déchiré. Un pays où les destins individuels se forgent en réaction aux traumatismes de l’Histoire.

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