TOKYO REVISITÉE, de David Peace

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Un Must
Fièvre japonaise

Le pitch

Tokyo, 1949. Comme point de départ, l’une des affaires les plus retentissantes du Japon moderne, digne de l’assassinat de Kennedy selon Peace : la mort mystérieuse de Shimoyama Sadanori, le président des chemins de fer japonais. Suicide ou meurtre ? L’homme, qui devait assumer le licenciement de 30 000 salariés du rail, était en danger, menacé. Construit avec un talent époustouflant, cette fiction ultra documentée se lit à plusieurs niveaux et trois époques. Telle une trilogie dans la trilogie. Écrit dans le style « David Peace », toujours aussi âpre, fiévreux et inimitable. Un immense roman noir.

N.B. Avec Tokyo Revisitée, David Peace boucle sa trilogie japonaise qui se déroule pendant l’occupation militaire américaine, entamée en 2007 avec Tokyo année zéro, puis poursuivie avec Tokyo, ville occupée en 2009. Chaque roman peut aussi être lu les uns indépendamment des autres.

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour mieux comprendre le Japon contemporain à travers certains faits-divers qui nous ont totalement échappés. Car « le crime est une clé de lecture formidable d’une époque. » Dixit David Peace, qui réussit à tisser finement l’histoire et la fiction, les personnages réels et des héros inventés. Parce que l’auteur s’appuie sur une immense documentation, lui qui est Tokyoïte depuis 1994. Car ses personnages sont complexes, obsessionnels. Pour le style, incontestablement. L’incantation, la poésie, le rythme. Car cette écriture habitée procure une expérience de lecture hors du commun. Et je pèse mes mots.

L’ECRITURE, LE STYLE INIMITABLE. Le « style David Peace », est fait de pur romanesque, de poésie, de fragments répétitifs, d’apparitions fantomatiques, de rêves, d’ellipses incessantes. Des passages entiers rythmés comme des incantations. Des sonorités qui valent sensations. L’auteur multiplie les registres, variant les voix, du rapport de police aux rêves prémonitoires, des descriptions criminelles aux chants funèbres. Une succession de phrases, de mots ou d’interjections scandés, répétés, martelés. Des flux de conscience où cohabitent fantasmes et hallucinations. Un style qui réclame l’attention. Il faut parfois faire des pauses, s’arrêter pour retrouver son souffle. Un rythme fiévreux qui porte les personnages aux limites de la santé mentale. « Ils sont venus, vêtus de noir et de blanc, par centaines, par milliers formant une longue file, une queue immense qui s’étire tout le long de la rue jusqu’à l’orée du parc. Vêtus de noir et de blanc, par centaines, par milliers, une longue file, une queue immense qui avance, lentement, lentement, pas à pas, des heures durant, sous le soleil, le soleil de l’après-midi, vers la porte, vers le temple. Vêtus de noir et de blanc, par centaines, par milliers, une longue file, une queue immense qui avance, lentement, lentement, pas à pas, pendant des heures, sous le soleil, le soleil de l’après-midi, pour aller s’incliner devant le défunt en signe de deuil, pour honorer Sadanori Shimoyama… ».

DES PERSONNAGES HABITÉS. Portés par leur obsession de la vérité, ils avancent avec l’angoisse du détail chevillée au corps. Ils répètent les mêmes gestes, recommencent les mêmes parcours, encore et encore, dans un monde cauchemardesque. Trois personnages qui se répondent sur trois temporalités.  Une trilogie dans la trilogie. Harry Sweeney, un flic du Montana, totalement décalé dans le Tokyo de 1949, inspiré d’un personnage réel comme tout droit sorti d’un roman de Dashiell Hammett.  Murota Hideki, le détective privé japonais de 1964, était déjà un personnage de Tokyo année zéro. Donald Reichenbach enfin, qui apparait à la fin des années 80, ex-agent de la CIA devenu traducteur, digne héritier des héros de roman d’espionnage à la John le Carré ou Norman Mailer, éternel apatride. Dans une atmosphère moite, pluvieuse, ces hommes au passé incertain, aux secrets pesants, sombrent peu à peu, l’alcool aidant. Pris au piège de leurs obsessions. Un grand roman noir aussi éprouvant que passionnant.

UN PASSÉ QUI ÉCLAIRE LE PRÉSENT. David Peace est un gaijin, un étranger (anglais en l’occurrence) vivant au Japon depuis 1994. « J’ai écrit la trilogie de Tokyo pour comprendre la ville actuelle. (…) Il y a eu beaucoup de crimes pendant l’occupation américaine et j’en ai sélectionné quelques-uns qui ont une pertinence par rapport au présent. » L’auteur, ici comme dans le reste de son œuvre, unit l’histoire d’un pays et la fiction policière, le passé et le présent. En l’espèce, il part du constat que “L’occupation américaine au Japon est une période brève mais importante pour la formation de la société japonaise contemporaine. On ressent encore cette grande tension aujourd’hui. En fait, si j’ai voulu traiter cette période, c’est parce qu’elle est importante dans la vie sociale du pays, et qu’il faut s’imprégner du passé pour comprendre le présent. ”

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La fiche

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La trilogie de Tokyo se déroule à l’époque de l’occupation américaine. Mais qu’on ne s’y trompe pas, David Peace évoque le passé pour mieux éclairer le présent. Pour chaque opus, l’auteur d’inspire d’un fait divers :

  • Tokyo année zéro, Rivages 2008 (Tokyo Year Zero, 2007), où sévit un tueur en série dans un décor de fin du monde. Traduit de l’Anglais par Daniel Lemoine.
  • Tokyo, ville occupée, Rivages 2008 2009 (Occupied City, 2008), une histoire d’empoisonnement dans la succursale de la banque impériale. Traduit de l’Anglais par Jean-Paul Gratias.

Le quatuor du Yorkshire (The Red Riding Quartet) fait partie de ces très rares monuments du roman noir, comme le quatuor de Los Angeles d’un certain Ellroy. Un quatuor sur l’Éventreur du Yorkshirequi fit régner la terreur dans cette région industrielle d’Angleterre entre 1975 et 1981. Grâce à ce jeune romancier, l’affaire de l’Éventreur du Yorkshire devenait une grande tragédie sociale et policière, au cœur de l’Angleterre thatchérienne.

  • 1974, 2002(1974, 1999)
  • 1977, 2003(1977, 2000)
  • 1980, 2004(1980, 2001)
  • 1983, 2005(1980, 2002)

Les 4 romans sont parus chez Rivages / Noir et traduits de l’Américain par Daniel Lemoine. Voir le lien vers l’article dédié plus bas.

GB84 revient sur la fermeture des houillères et la grève des mineurs sous l’ère Thatcher.

Le succès populaire est au rendez-vous avec ses deux livres sur le football 44 jours (adapté au cinéma par Tom Hooper) et Rouge ou mort.

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David Peace l’avoue lui-même : « Ma dette à l’égard du roman noir est immense, je dois beaucoup à des auteurs comme Ted Lewis, Robin Cook, James Ellroy, Hammett, Chandler, Manchette… » Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire…