Ho Ho Ho 

Le 16 décembre 2022

On avait presque oublié. Que le froid pique les yeux. Que la nuit précoce file une flemme de compétition. Que la magie de Noël opère toujours, avec ses rues grouillantes (attention ça glisse), ses sapins chargés de loupiotes multicolores. Que le Réveillon c’est dans huit jours, argh. Parlons-en justement, vous en êtes où pour le cadeau de Tatie Danielle ?  

N’ayez crainte. La Maison du polar est là. Et il y a l’embarras du choix. Entre les pépites sorties il y a belle lurette qu’on a malencontreusement oubliées et les perles de fin d’année, la bonne pioche est au bout du tunnel. De quoi glisser sous le sapin des polars pour tous les goûts, tous les âges, de toutes les latitudes. Et pour ceux qui en réclameraient encore, après lecture de cette Newsletter#28 Spécial Xmas, c’est sur @lamaisondupolar que ça se passe.  

Sur ce, excellentes fêtes à tous. Trinquez, dansez, mangez, festoyez. Que vous soyez à deux ou à quinze, croyant ou pas, savourez en couple, en famille, en tribu, en bande, cette tradition émouvante, une résistance à l’effacement et à l’oubli. Chassons la morosité et vivons ensemble la beauté de l’instant. On se retrouve en janvier pour partager de nouvelles aventures.

Laetitia

Les jeunes fantastiques

Dans Griffes, Malika Ferdjoukh s’amuse et nous amuse en jouant avec les codes du récit policier de détection à la Sherlock Holmes sur un ton frais et cocasse. Une diligence traverse la lande venteuse du Northumberland, au nord de l’Angleterre. Les voyageurs échangent quelques mots, mais les politesses sont troublées par une annonce spectaculaire. Une femme raconte avoir quitté Londres parce qu’elle a été témoin d’un meurtre… dans un rêve ! Avec un sens éprouvé de l’intrigue et des personnages hautement attachants, l’autrice enchaîne rebondissements, scènes horrifiques et comiques dans ce savoureux cozy mystery pour la jeunesse. Une totale réussite, piquante et délicieusement fantastique. Soooo British ! Dès 10 ans.

Griffes, de de Malika Ferdjoukh (2022, L’école des loisirs)

Grand Passage est un roman fantastique aux accents de polar, d’une grande poésie, non sans être douloureusement réaliste. Dans un village coincé entre une forêt et une autoroute, Lauris, 14 ans, voit des animaux supposés morts (géniale idée). Voire même un jour le fantôme d’un grand-père qu’il n’a pas connu. Quand son amie Lali disparaît, la vie de Lauris va encore davantage se compliquer. Le mystère plane tous azimuts à Grand Passage, entre visions fantomatiques, enquête sur un tueur en série et quête identitaire. Ambitieux et troublant, traversé d’interrogations philosophiques, ce roman mystique est à découvrir absolument dès 13 ans.

Grand Passage, de Stéphanie Leclerc (2022, Syros). Pépite Fiction Ados.

VilleVermine, Le tombeau du Géant, un récit autonome dans un univers dystopique fantaisiste très vaste et riche d’aventures potentielles. Où Jacques Peuplier, privé célibataire avec un je-ne-sais-quoi de Corto Maltese, mais bordélique et misanthrope, vit dans un appartement vétuste et possède le don surnaturel de converser avec les objets inanimés (oui, on est bien dans le genre SF). Ce qui le sauve de bien des situations périlleuses. En l’espèce, il enquête sur le secret des géants qui vivent dans les égouts de VilleVermine, une cité du crime fantasmagorique. Un scénario qui ouvre grande la porte à l’inattendu et au rocambolesque. Un conte généreux dont l'intensité dramatique n’exclut pas une bonne dose d’humour. Grâce notamment aux dialogues entre objets, dans une gouaille souvent cynique qui ne manque pas de second degré. Dans un dessin tremblotant, comme esquissé, mais totalement maîtrisé, non dénué de poésie. À découvrir dès 13 ans.

VilleVermine, Le tombeau du Géant, de Julien Lambert (tome 3, 2022, Sarbacane)

 

Destins de femmes

Tout paraît modeste et tout nous interpelle pourtant dans La femme du deuxième étage, roman noir sur le destin d’une femme ordinaire en prise avec une société croate conservatrice, patriarcale, liberticide. Bruna a tué sa belle-mère, avec préméditation. Elle l’a empoisonnée, lentement, sûrement, résolument. Ou autrement présenté, La femme du deuxième étage est l’histoire d’une femme prise au piège, qui a passé sa vie d’une prison à l’autre, et qui cherche sa liberté. Le deuxième roman traduit en français du phénomène croate, Jurica Pavičić (L'Eau Rouge, 2021), recèle déjà cette sobriété, cette forme de mélancolie policière qui conjugue magnifiquement tension romanesque et émotion intime. Décidément, un auteur à suivre de près.

La Femme du deuxième étage, de Jurica Pavičić (2015). Traduit du croate par Olivier Lannuzel (Agullo, 2022).

Qu’est-ce qu’une famille ? Devenir mère, être père, ça veut dire quoi ? L’instinct maternel est-il inné ou acquis ? L’autrice, la tumultueuse et talentueuse Maria Larrea, apporte des réponses à la fois cruelles et réjouissantes à ces questions-là dans Les gens de Bilbao naissent où ils veulent. Une fiction autobiographique, où elle part à la recherche de ses racines espagnoles après avoir appris sur le tard qu’elle a été adoptée. Et pour comprendre de qui elle est la fille, Maria va enquêter et revenir là où tout a débuté, à Bilbao. Un roman déroutant, plein d’énergie, émouvant, qui mêle l’humour et le tragique. Ça commence comme un conte noir et ça se termine par une enquête obsessionnelle, menée par une pétroleuse. Un récit flamboyant, entre le rire et les larmes. Pas de doute, une autrice est née.

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, de Maria Larrea (2022, Grasset).

L'exception française

 

À partir d’un crime non élucidé, un fait divers atrocement ordinaire, Dominik Moll signe La Nuit du 12, l’un des meilleurs films français de ces dernières années, sur un sujet éternel : le rapport de la société aux femmes. Avec ses corollaires, le patriarcat, la brutalité des hommes, la misogynie ordinaire autant que criminelle. « À la PJ on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante, un crime qui fait plus mal que les autres et qui l'empêche de dormir ». Pour Yohan, jeune policier de Grenoble, c’est le meurtre sordide de Clara, 21 ans. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12. Un film bouleversant, d’une sobriété exemplaire. Un polar féministe, sans coupable ni noirceur excessive, absolument saisissant d’humanité et de compassion. Le film français le plus fort de 2022 par son universalité, sa puissance formelle, la qualité de son écriture, l’intelligence du casting. Une réussite majeure, à voir absolument.

La Nuit du 12, de Dominik Moll (1h54, 2022). D’après 18.3 : une année à la PJ de Pauline Guena (Denoël, 2020). Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibaut Evrard, Julien Frison, Paul Janson, Mouna Soualem, Anouk Grinberg.

 

Le très beau Maigret, film atmosphérique d’une esthétique rare, quasi expressionniste, réussit à réinventer ce personnage emblématique pourtant mille fois exploité. Paris, dans les années 1950. Maigret enquête sur la mort d’une jeune fille. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Elle n’a pas de nom et, plutôt que d’en mettre un sur l’assassin, Maigret se préoccupe de trouver celui qu’elle portait. Avec ce Maigret crépusculaire et introspectif, Leconte fait le portrait d’un homme plus qu’il ne suit l’enquête. Celui d’un homme vieillissant, époux tranquille et père marqué par la perte de sa fille, qui voit son monde sombrer. Un grand film sur un sentiment précieux, peut-être la forme la plus noble de l'intelligence : l'empathie. Où le choix de Depardieu apparait comme une évidence tant le comédien habite littéralement ce personnage taiseux et mélancolique, d’une sensibilité inédite. Une très jolie surprise.

Maigret, de Patrice Leconte (2022, 1h28. D’après Simenon, Maigret et la jeune morte (1954). Avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Aurore Clément, André Wilms, Hervé ¨Pierre, Clara Antoons, Pierre Moure, Anne Loiret, Elizabeth Bourgine

Tournée américaine

Un pied au paradis par Michele Foletti célèbre avec talent les 20 ans de cette première œuvre de Ron Rash, grand auteur du Sud profond et l’une des plumes les plus fines et singulières de la littérature américaine. Oconee, comté rural des Appalaches du Sud, début des années 1950. Le Shérif Will Alexander apprend que Holland Winchester, le voyou local et vétéran de la guerre de Corée, a disparu. Assassiné, si l’on en croit sa mère. Elle a entendu un coup de feu venant de chez son voisin Billy Holcombe. L'ennui, c'est qu'il ne trouve ni corps ni aucun témoin du meurtre. Une histoire simple portée par les voix de cinq personnages, particularité du récit qui lui confère une profondeur singulière. Cette enquête policière, menée par un shérif à la vie affective douloureuse, sur fond de drame de jalousie et de vengeance, nous raconte de façon noire et intense la vision des petites gens dont on ne parle que trop peu. Et si le dessin de Michele Foletti peut dérouter, avec son trait un peu simple et raide et ses couleurs ultra tranchées, le scénario fidèle à la structure du texte original, finit d’emporter l’adhésion.

Un pied au paradis, de Michele Foletti; D’après Ron Rash. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez. Sarbacane (2022).

Le serpent et le coyote est un road-movie ample et tendu qui évoque la genèse (plutôt chaotique) du programme fédéral de protection des témoins qui a fait florès. 1970, dans l’Amérique de Nixon. Son désert, sa mafia, son FBI mené par Hoover, omnipotent patron bien décidé à remettre de l’ordre dans ce pays qui souffre de la grande délinquance. La rencontre improbable entre un (ex)truand repenti plutôt sympathique, fuyant et insaisissable, sillonnant l’Ouest sauvage en camping-car, et un coyote qui passait par là. Le charme opère dans ce périple semé de cadavres. Dans une Amérique à l’ancienne, sans portables ni caméras de surveillance. Ce road trip en cinémascope, au scénario efficace plein de rebondissements, magnifiquement mis en valeur par le dessin réaliste, ample et fluide de Xavier, se lit et se relit avec plaisir en goûtant les innombrables références cinématographiques.

Les Serpent et le Coyote, de Matz (scénario), Philippe Xavier (illustration) et Jérôme Maffre (couleurs). Le Lombard (2022).

Ciné-club en famille 

L. A. Confidential est un polar fifties inracontable, évidemment. Car qui se soucie de comprendre vraiment un film noir ? Pour faire simple, ça parle de stars, d'embrouilles et de corruption. La poudre blanche submerge la cité des anges au début des années 50. Où trois inspecteurs, aux méthodes plus ou moins musclées, enquêtent sur la mort sordide d’une prostituée qui ressemble à une actrice de cinéma. Une adaptation remarquable du roman dense et sulfureux de James Ellroy, en version moins trash, qui s’attaque aux aspects les plus miteux du vieil Hollywood. Un film noir qui saisit intensément une atmosphère. Un instant du temps propice au crime plutôt qu’une banale histoire de meurtre. Un univers où se croisent flics, mafieux, reporters fouineurs, prostituées transformées en copies conformes de stars de cinéma. En s’appuyant sur un casting en or massif et une mise en scène efficace. Sans esbroufe. L’un des meilleurs films des années 90. Car si on fait le compte, il n’y en aura pas eu beaucoup d’autres des films de cette trempe, de cette classe, de cette assise. Dès 13 ans.

L. A. Confidential, de Curtis Hanson (1997, 2h18). D’après James Ellroy (Rivages/Noir). Avec Kevin Spacey, James Cromwell, Russell Crowe, Guy Pierce, Kim Basinger, Danny de Vito, Simon Baker, Ron Rifkin.

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