Humour et décadence

Le 28 janvier 2022

L’humour est une affaire sérieuse pour les Argentins. Une manière de dédramatiser devant l’adversité. De savoir rire de soi-même face au pire. C'est armé de cet humour noir si caractéristique, ironique mais sans amertume, que le peuple argentin accueille la réalité telle qu’elle est, sans en nier ni les contradictions ni les difficultés. Plus prompt à rire de lui-même qu’à désespérer, s’indigner ou se réfugier dans un idéal impossible à atteindre. Comme si rire de ses malheurs était la méthode curative par excellence.

Comment expliquer cette affinité élective certaine quoiqu'apparemment surprenante entre leur humour et le nôtre ? Qu’est-ce qui fait rire les Argentins qui nous fait rire aussi au-delà de nos différences ? Un goût pour l'absurde et les excès en tous genres ? Une autodérision permanente ? L’humour du presque rien ? Un regard, un éclairage qui rendent soudain bouffonnes les choses les plus banales ? Je tente des éléments de réponse dans cette newsletter #13 dédiée à l’humour dans le polar par des auteurs originaires de ce pays où le rire fait partie intégrante de la richesse culturelle. Une tradition partagée par tout un peuple, révélatrice d’une vraie passion de la vie. 

¿ Hablas argentino ?

Laetitia

À qui mieux mieux

Deux films sous haute tension illustrent certains aspects singuliers de l’humour argentin. Bavard et excessif.

Le Braquage du Siècle, feel-good movie porté par des acteurs charismatiques, renoue avec le meilleur des films de casses. Pour l’histoire, tout est dit dans le titre. Auquel on ajoutera quelques points de détails : Buenos Aires, 2006, banque Rio, inspiré de faits réels. Mené tambour battant par Ariel Winograd, ce Braquage ne laisse aucun répit à nous autres, spectateurs réjouis, qui tentons de suivre cette histoire à triple-fond, au rythme des dialogues piquants débités à la mitraillette argentine par nos surprenants malfrats. Dans une ambiance désinvolte et gentiment provocatrice, garante d'un humour constant. Ce divertissement délectable se savoure avec grand plaisir. Dès 10 ans. 

Le braquage du siècle (El Robo del Siglo, 2021). Film d’Ariel Winograd. 1h54. Avec Guillermo Francella, Diego Peretti, Luis Luque, Pablo Rago, Juan Alari.

Un tout autre trip vous attend avec Les Nouveaux Sauvages, un film à sketches grand-guignolesque et provocateur de Damián Szifron. Six histoires caustiques sur l’Argentine d’aujourd’hui, construites comme des thrillers. Une farce teigneuse, parfaitement suave et méchante, où tous les épisodes répondent à une mécanique simple et bien huilée : un engrenage fatal fait passer une situation lambda à une tragédie si atroce qu’elle en devient hilarante. Une démonstration par a+b que des personnes comme vous et moi pourraient, un jour, franchir la ligne ténue qui sépare la civilisation de la barbarie. Le plus grand succès populaire du siècle en Argentine vous aura peut-être échappé ? Une curiosité, sanglante et délirante, à découvrir si vous aimez grincer des dents.  

Les nouveaux sauvages (Relatos Salvajes, 2015). Film de Damián Szifron. 2h02. Avec Ricardo Darín, Leonardo Sbaraglia, Darío Grandinetti, Erica Rivas.

Doux dingues

Deux romans truculents nous embarquent au pays de la fantaisie sentimentale. 

La dernière affaire de Johnny Bourbon est une parodie de roman noir où le détective Arregui (au tempérament abrupt mais 100% honnête) se trouve d’humeur chagrine à l’approche de son 50ème anniversaire. L’intrigue n’a aucune importance car c’est le ton cocasse et la fantaisie du récit, non dénués d’émotion, qui emportent l’adhésion. Ce polar ludique a été imaginé par Carlos Salem, un auteur argentin (installé en Espagne) dont les romans d’une loufoquerie délicieuse sont aussi une manière très personnelle de philosopher.  Dingue et génial.

La dernière affaire de Johnny Bourbon - Je reste roi (émérite) d’Espagne (Sigo siendo el rey (emérito) de España, El último caso de Johnny Bourbon, 2018), de Carlos Salem. Actes Sud/Actes Noirs (2020). Traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

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Patagonia Tchou Tchou est le titre improbable d’un roman noir inclassable, divertissant au possible. Deux hommes embarquent à bord de La Trochita (train antédiluvien parcourant la Patagonie moins vite qu’un piéton) pour se lancer dans une aventure risquée : kidnapper les passagers dudit Tchou Tchou pour libérer un prisonnier en transit. Bien sûr, tout capote, et on se régale des aventures rocambolesques de nos idéalistes au chômage, constamment déstabilisés par des événements qui les dépassent. La revendication politique n'est jamais très loin dans cette fable, drôlement nostalgique et sincère.

Patagonia Tchou-tchou (Patagonia Chu Chu, 2005) de Raúl Argemí  . Rivages/Noir, 2010. Traduit par Jean-François Gérault.

Bolognaise argentine

Deux auteurs argentins nous régalent avec Spaghetti Brothers, où cinq frères et sœurs d’origine sicilienne choisissent des voies professionnelles et personnelles plus ou moins légales, dans le New York agité de la Prohibition. Affreux, drôles, tendres et méchants : les Centobucchi ne comprennent que le langage de la poudre.  Cette saga piquante relate le quotidien de cette fratrie hors normes au fil des 16 tomes compilés dans une intégrale de 800 pages traitées dans un dessin noir et blanc qui rend pleinement justice à ce cocktail explosif de sang, de sexe et d'humour noir. Des opus qui ne sont pas toujours de qualité égale, mais l’ensemble reste tout à fait savoureux.

Spaghetti Brothers de Carlos Trillo et Domingo Mandrafina (1995).  Vents d'Ouest. Traduit de l’espagnol par Jean-Michel Boschet.

Ciné-club en famille :
Drôle de polar

Tout est affaire d'argent dans Les Neuf Reines. Comment en avoir, en avoir plus et surtout en avoir plus que l'autre. Cette obsession se lit dans l’état des lieux d'un Buenos Aires au bord de la faillite que nous découvrons dans ce premier film de Fabián Bielinsky, au filtre des larcins de deux arnaqueurs, sympathiques mais sans envergure, qui s’associent 24h dans l’espoir de réussir LE gros coup. Une partie de bluff finement menée où l’on ne sait jamais vraiment très bien qui double qui et jusqu’à quel point. Cette incertitude permanente faisant le sel de cette histoire imaginée façon rubik's cube où l'on prend un grand plaisir à se faire rouler dans la farine (plus d'une fois) par ce stimulant casse-tête. Un polar sophistiqué devenu un classique, à découvrir dès 10 ans.

Les Neuf Reines (Nueve Reinas, 2001). Film de Fabián Bielinsky. 1h54. Avec Ricardo Darín, Gaston Pauls, Leticia Brédice.

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