Tu vois bien que tu gênes

Le 11 février 2022

Adultère. Du latin adulter. Fausser, corrompre, falsifier, altérer. Une violation du devoir de fidélité tel que défini dans l’article 212 du code civil : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.»

Adultère n’est pas un joli mot. Il sonne durement et renvoie aux sentiments douloureux de trahison et d’injure. Bien des crimes ont été commis en son nom. Notez bien, sans vouloir vous paniquer, qu'il n’existe pas de profil type de l’infidèle. Il y a celle ou celui qui s’en vante, qui le redoute, qui le provoque, qui le combat, qui le subit… Sans ces affaires de tromperie, de mensonges, de dissimulation, l’histoire du polar ne serait pas ce qu’elle est. Toutes les combinaisons à 2 contre 1 étant envisageables, le genre n’a cessé d’en explorer les innombrables possibilités. Car c’est une notion d’une ressource infinie qui existe depuis la nuit des temps. C’est qu’à l’origine du crime passionnel se trouve le désir, son manque ou son excès, absolument humain et universel. Dans cette newsletter #14 consacrée à l'adultère et ses effets collatéraux, nous explorerons une poignée d’histoires de couples qui tournent au drame, d'engrenages qui mènent aux enfers. Dans un cocktail de sang, de sueur et de larmes qui dépeint le chaos sentimental d’une époque autant qu'il célèbre l'éternelle énergie du désir.

Happy Valentine’s Day!

Laetitia

En un mot comme en cent

Adultère est un court récit où Yves Ravey produit avec peu d’ingrédients, un grand roman noir sous couverture blanche. Jean Seghers est le narrateur et personnage central d’une intrigue apparemment banale. Propriétaire d’une station-service déclarée en faillite, il est marié à Remedios, jeune femme très séduisante. Le trompe-t-elle ? De ce questionnement naîtra le drame. Intrigue linéaire, décor restreint, microcosme humain… l’auteur, en faisant bref et dense, produit une atmosphère oppressante à partir de presque rien. Sur un ton distancié et volontiers désinvolte. Dans un style épuré auquel je suis très sensible, qui va d’un point A à un point B s’en s’embarrasser de détails – adjectifs, adverbes, subordonnées – pour une efficacité narrative remarquable. Sans oublier (ni dévoiler) un final qui m’a laissée pantoise…

Adultère (2021) d’Yves Ravey. Les éditions de Minuit.

Pas vu pas pris

A Very English Scandal est une mini-série ultra-caustique qui traite avec élégance de certains enjeux majeurs inhérents à l'Angleterre des années 60/70. Comme l'ostracisation des homosexuels et la corruption du système politique. Inspirée de faits réels, elle brosse le portrait haut en couleur du leader du Parti Libéral britannique Jeremy Thorpe (Hugh Grant, arrogant à souhait), accusé de complot et d’incitation au meurtre par un ancien amant (Ben Whishaw, aussi insupportable que touchant). Une affaire abracadabrantesque, qui fit grand bruit à l'époque. En filigrane de cette histoire d’amours interdites, se dessine la peinture drôle et cruelle d’une société tenue par la peur, l’hypocrisie, le mépris de classe, le ressentiment. ET l’humour, of course. Drôle et cruel. Sooo British.

A Very English Scandal, série écrite par Russell T. Davies, réalisée par Stephen Frears. Avec Hugh Grant, Ben Whishaw, Alex Jennings, Monical Dolan (RU, 2018, 3 x 1 heure). À la demande sur Salto.

Le dindon de la farce

Au-delà des clichés qui ont la dent dure, la femme dans le polar est plus souvent victime que fatale. Deux exemples parmi d'autres. 

Abby, la femme infidèle de Blood Simple (Frances McDormand, toute jeunette) a fort à faire dans ce premier film (culte) des frères Coen, coincée dans un labyrinthe où tout le monde se trompe et tout le monde trompe le reste du monde. Au Texas, un patron de bar engage un détective privé (à la déontologie discutable) pour espionner sa jeune épouse (la fameuse Abby). Bingo, elle le trompe avec le barman. La suite fait froid dans le dos... Un film incontournable selon deux points de vue également stimulants. En tant que ce qu’il est, absolument génial, déjanté, excessif. Et en tant que ce qu’il annonce. Une œuvre matricielle où sont déjà présents tous les éléments constitutifs du monde passionnant des frères du Minesota. Qui révélait une approche aussi respectueuse que ludique du cinéma, une façon libre et singulière de briser les codes, une capacité à construire un univers unique et cohérent. Par un duo d’artistes à nul autre pareil, totalement indépendant et maître de ses œuvres. 

Sang pour Sang (Blood Simple, 1984, USA) de Joel et Ethan Coen. 1h36. Avec John Getz, Frances McDormand, Dan Hedaya, Emet Walsh, Samm-Art Williams. Interdit -12ans.

Match Point est un petit OVNI dans la longue et riche carrière de Woody Allen, où la femme infidèle prend très cher. Un film glaçant, à la noirceur dostoïevskienne d’un crime sans châtiment, qui prend le parti de dénoncer l’écrasement inéluctable des faibles par les forts dans une société viscéralement inégale. C'est l’histoire apparemment classique de l'ascension sociale d'un beau gosse dans la bonne société londonienne, que rien ni personne ne saurait faire dévier de sa trajectoire. Pas même une ravissante maîtresse, rapidement encombrante. Cette fable noire et sexuée sur l’arrivisme et la passion, parfaitement scénarisée et mise en scène, doit aussi une partie de sa réussite à l’alchimie de son casting glamourissime. Ce film magnifique et désespéré sur le désir, sur le conflit éternel entre la tentation et la raison, le rêve de bonheur et l’ambition, est absolument sans pitié.

Match Point (2005, USA). Film de Woody Allen. 2h03min. Avec Jonathan Rhys-Meyers, Scarlett Johansson, Emily Mortimer, Matthew Goode. Couleur.

Un de trop, mais lequel ?

Trois parties, trois acteurs, trois points de vue, trois raisons de tuer pour une seule histoire de meurtre au sein d'un couple. Berceuse Assassine est un récit dont la trame scénaristique assez classique prend du relief grâce à cette originalité dramatique. Un triptyque dont le principe narratif rappelle qu’il n’y a pas de vérité, unique, mais plusieurs interprétations d’une même réalité. Une histoire de vengeance(s), très noire, forgée sous les feux croisés du polar et du rêve américain, dans une ambiance qui rivalise avec celle des meilleurs films sis dans le New-York interlope de Taxi Driver (1976, Martin Scorsese) ou Panique à Needle Park (1971, Jerry Schatzberg). Dans un magnifique dessin tricolore noir, jaune et sépia, sombre et réaliste. Un classique. Un très bon classique.

Berceuse Assassine (trilogie, 2008) de Philippe Tome (scénario) et Ralph Meyer (Dessin). Éditions Dargaud. La trilogie comporte : Le cœur de Telenko (1997), Les jambes de Martha (1999), La mémoire de Dillon (2002).

Ciné-club en famille :
Wild at Heart

Dans la catégorie Amour, adultère et crime passionnel, je propose, sans l’ombre d’un doute, Assurance sur la mort. Où l'agent d'assurance Neff, séduit par la troublante Phyllis, conspire avec elle le meurtre de son mari après lui avoir fait signer une police prévoyant une indemnité pharaonique en cas de mort accidentelle. Ça c’est le projet sur le papier… Tout est novateur dans ce film noir. La narration inédite (saluée par le maître Hitchcock himself) reposant sur la voix-off et l’utilisation du flashback pour briser la linéarité du récit policier et du suspense. Car malgré la vénalité de ce couple sans scrupules, le scénario brillantissime arrive à nous faire éprouver de l’empathie pour ces amants diaboliques. Par le profil même du coupable, un mec lambda auquel le spectateur peut s’identifier, démontrant que n’importe qui peut tuer, poussé par le désir charnel ou l’appât du gain. Sans oublier une atmosphère, sordide à souhait. Un film noir référent, porté par des acteurs incroyables, réalisé par l’immense Billy Wilder. Co-écrit avec Raymond Chandler. D’après l’œuvre sulfureuse de James M. Cain (Le facteur sonne toujours deux fois), spécialiste des drames passionnels et ménages à trois qui tournent mal. Un chef d’œuvre. Que vous faut-il de plus ? Dès 12 ans. 

Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1944, USA) de Billy Wilder. 1h47. Avec Barbara Stanwyck, Fred MacMurray, Edward G. Robinson. Noir et blanc.

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