Qu’est-ce qui distingue Peters Sellers d’un Louis de Funès ? Une question que je pose, sans intention de classement (j’adore les deux) mais avec l’envie de saisir ce qui rend l’humour britannique si unique et singulier. Une certaine disposition d’esprit. Un flegme. Une manière sophistiquée et polie d’appréhender les tragédies et les revers de la vie par un recours à la satire, à l’autodérision. Une façon de conter, de manière imperturbable, l’absurdité et la noirceur du monde. D’où l’humour anglais s’infiltre partout, même (et surtout) dans les situations les plus sérieuses comme en témoignent les drames de Ken Loach ou Stephen Frears qui assument leur bonne part de second degré. Ce n’est donc pas une surprise si le polar anglais regorge de pépites, plus ou moins amères et désespérées, qui nous font sourire grâce au génie pince-sans-rire de leurs auteurs. Une excentricité irrésistible qui peut mettre mal à l’aise de ce côté-ci du channel. Pour cette newsletter #12 dédiée au British humour dans le polar, j'ai sélectionné des oeuvres éclectiques à l'image de nos amis grands bretons qui savent si bien faire le grand écart entre l'esprit le plus fin et le plus trivial. Cheers folks!
Laetitia
Mélange des genres
Le cinéma britannique n’hésite pas à taper dans la comédie la plus trash jusqu’à la fable la plus légère pour exprimer sa vision du monde. Avec toujours une dérision de bon aloi.
Bons Baisers de Bruges est la première réalisation de Martin McDonagh (3 Billboards). Un film noir hors du commun, étrangement séduisant. Après un contrat qui a mal tourné, deux tueurs à gages londoniens reçoivent l'ordre d'aller se mettre au vert à Bruges. Le temps de cette retraite forcée, nos deux compères font d'improbables rencontres. Quand le boss finit par leur annoncer à quelle sauce ils vont être mangés, une vraie course-poursuite, absurde et cocasse, s'engage dans la ville dont le réalisateur exploite magnifiquement les atours (cathédrale majestueuse et labyrinthique, ruelles pavées, canaux…) pour y créer de l’action efficace et spectaculaire. Et une ambiance à nulle autre pareille, gothique et oppressante. Surréaliste. Et violent. Une curiosité à découvrir.
Bons Baisers de Bruges (In Bruges, 2008). Film de Martin McDonagh. 1h48. Avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Ralph Fiennes, Clémence Poésy, Jérémie Rénier, Jordan Prentice.
Si La Part des Anges ne saurait se mesurer aux grands drames naturalistes et politisés dont Ken Loach s’est fait le remarquable héraut tout au long de sa carrière, ce film n’en demeure pas moins une comédie sociale truculente où les acteurs, pour la plupart non professionnels, délivrent une partition sans fautes et bourrée de malice. À Glasgow, un jeune délinquant, tout juste père, condamné à une peine d’intérêt général, se découvre un talent insoupçonné de goûteur de whisky dont il va savoir tirer profit, avec le soutien d’une belle équipe de bras cassés. Un film profondément sympathique qui jamais ne se prend au sérieux. Une tragédie en puissance qui se dénoue en fable : voilà de quoi mettre le cœur en joie. Revigorant. Dès 10 ans.
La Part des Anges (The Angels’ Share, 2012). Film de Ken Loach. 1h41. Avec Paul Brannigan, John Henshaw, Gary Maitland, Siobhan Reilly, William Ruane.
Londres, nid d'espions
Les lions sont morts est le deuxième volet d’une série initiée avec La Maison des tocards, où Mick Herron régénère brillamment le roman d’espionnage.
Des agents pas terribles, mis sur la touche pour fautes graves, s’intéressent à un fait divers apparemment anodin : la mort par crise cardiaque, dans un bus, de Dickie Bowe, un pauvre hère solitaire et alcoolique. Seul élément notable, Dickie était un (ex)espion, au bon vieux temps de la Guerre Froide. La fine équipe décide d’en savoir plus. On suit avec bonheur ces losers sympathiques dans leurs aventures menées à coups de mensonges, manipulations et faux semblants, comme il se doit dans tout bon roman d’espionnage. Et c’en est un. C’est aussi vraiment drôle et admirablement écrit. Un très grand plaisir de lecture.
Les lions sont morts (Dead lions, 2013), Mick Herron. Actes Sud/Actes Noirs (2017). Traduit de l’anglais par Samuel Sfez.
Agent troublé
Killing Eve est une série sans scrupules, immorale et réjouissante, de Phoebe Waller-Bridge (Fleabag). Cantonnée à un travail de bureau rébarbatif, l'agent du MI5 Eve Polastri est frustrée par une existence trop monotone. Jusqu'au jour où elle doit traquer une tueuse psychopathe surnommée Villanelle. Ce thriller psychologique déjanté, porté par des femmes de talent, réussit efficacement à renouveler le genre. À noter toutefois certaines scènes gores qui expliquent la mention interdit aux -12 ans. Âmes sensibles…
Killing Eve (4 saisons depuis 2018). 8x 40 min. Une série de Phoebe Waller-Bridge d’après des romans de Luke Jennings, Codename Villanelle. Avec Sandra Oh, Jodie Comer, Fiona Shaw, David Haig, Kirby Howell-Baptiste, Kim Bodnia.
Cauchemar de Noël
Cassandra Darke est un petit bijou signé par la grande Posy Simmonds (Tamara Drew, Gemma Bovary).
Une histoire inspirée d’Un chant de Noël de Dickens et de son horrible héros Scrooge. Cassandra est une galériste « vieille fille dans l’âme ». Une londonienne pur jus, avare et acariâtre, également escroc sur les bords. Elle vit recluse dans sa maison de Chelsea, au ban de la société, depuis la découverte de ses malversations. C’est alors que sa nièce Nicki débarque dans sa vie. Le jeu de massacre peut commencer. Une fine satire de la société Britannique et des milieux conservateurs en particulier. Dans un style unique qui mélange merveilleusement textes, illustrations et bande dessinée. Un vrai beau roman graphique. Dès 15 ans.
Cassandra Darke (2019) de Posy Simmonds. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Lili Sztajn. Editions Denoël.
Ciné-club en famille : Drôle de polar
Noblesse Oblige dévoile le journal intime d’un tueur en série qu’on n’arrive pas à trouver totalement antipathique. Renié par sa noble famille à cause de la mésalliance de sa mère avec un roturier, Louis Mazzini d'Ascoyne exécute méticuleusement, une fois ses deux parents disparus, la sombre vengeance qu'il a imaginée pour se frayer un chemin jusqu'au titre (injustement usurpé !) de Duc de Chalfont. Un élagage sanglant de l’arbre généalogique qu'il exécute avec sang-froid et une classe toute aristocratique. Cette comédie fine et caustique se double d’une critique amère de la société Britannique étouffant de son hypocrisie sociale. Un diamant noir et atypique de la comédie anglaise de l'après-guerre, à voir et revoir. Dès 8 ans.
Noblesse Oblige (Kind Hearts and Coronets, 1949). Film anglais de Robert Hamer. 1h41. Avec Alec Guinness (bluffant dans son interprétation des 8 rôles de la famille d’Ascoyne, tous sexes confondus), Joan Greenwood, Valerie Hobson, Dennis Price.