SLOW HORSES, de Will Smith

Pour savoir enfin où atterrissent les espions qui n’ont pas le talent inépuisable de 007. Car cette comédie noire d’espionnage 100% British est absolument savoureuse sans omettre d’être subtilement politique. Pour son casting éblouissant, mené par Gary Oldman, irascible et truculant patron de cette écurie bancale. Parce que sous la satire se dessine une certaine vision politique. Celle d’un Royaume-Uni actuel, inquiet de la montée de l’extrême droite, du terrorisme intérieur, des reliquats de la Guerre Froide. Pour les scènes d’action et de suspens qui ne manquent pas non plus à l’appel dans cette série d’espionnage qui sait aussi nous mettre sous tension.

IMMENSE GARY OLDMAN. Après avoir incarné le meilleur des agents britanniques dans La Taupe (film réalisé par Tomas Alfredson, d’après John Le Carré, en 2011), Gary Oldman mène le bal des perdants du renseignement dans cette série aussi sombre qu’ironique. On le sent ravi d’être si peu à son avantage dans ce rôle d’anti-agent secret alcoolique et flatulent. Cheveux gras et imper luisant, reclus dans son bureau miteux, il est plus proche d’un Johnny English que d’un 007. Son job ? Pousser ses cancres de l’espionnage à la démission ou à ne plus faire de vague jusqu’à la retraite, à force de tâches administratives ingrates et de remarques humiliantes (mais tellement drôles !). Sous ses allures de tortue désabusée, il a toujours un temps d’avance sur ses ouailles qu’il cherche malgré tout à protéger. Face à ce rôle sur-mesure, Kristin Scott Thomas ne démérite pas en retorse n°2 du MI5. Ironique, glaciale, impériale.

HUMOUR NOIR, SO BRITISH. Certes, les codes traditionnels de la série d’espionnage sont bien présents dans Slow Horses. Courses contre la montre, scènes d’action efficaces, enjeux de sécurité nationale, jeux d’influences sur fond de corruption, guerres des services… Mais son créateur Will Smith (cinéaste britannique à ne pas confondre avec le comédien américain amateur de baffes) insuffle un vent de fraîcheur réjouissant en jouant la carte de l’humour noir. L’usage de situations subtilement décalées, absurdes, font tout le sel des aventures rocambolesques de nos pieds nickelés. Tous les acteurs, excellents, sont au diapason. Terriblement drôles et attachants dans le genre tragicomique, dignes héritiers de la grande dramaturgie britannique.

CHRONIQUE DU MALHEUR AU TRAVAIL. C’est ce que souligne le jeune acteur écossais qui monte, Jack Lowden. Il incarne River Cartwright, l’espion-tocard-qui-aimerait-sortir-de-la-nasse, né dans une dynastie de héros du MI5 et placardisé dès le début de sa carrière. « Ce métier n’est pas que glamour et courses-poursuites, c’est passer de longues heures devant des bandes de vidéosurveillance, vider les poubelles de cibles. C’est plus de la paperasse que se jeter du haut d’un immeuble. L’humour de la série vient de tout cet ennui. L’extraordinaire ne survient que par accident ». La série se déploie dans l’ombre, baignant dans une ambiance crépusculaire qui n’est pas sans rappeler John le Carré. Décidément, avec Severance, Pachinko, Les Derniers Jours of Ptolemy Grey… Apple TV bâtit un catalogue qualitatif et exigeant des plus réjouissants.

Enfin, si vous pensez avoir déjà entendu la voix du chanteur qui interprète le générique, vous ne vous trompez pas. C’est bien Mick Jagger.